Innovation
mai 29, 2019
L’agriculture de conservation, un coup de jeune dans nos champs ?
Il y a une culture française dont le blog de l’agriculture expliquée par ceux qui la connaissent n’a encore jamais parlé celle des manifestations pardi ! Et qui dit manifestations, dit slogans, ce qui nous mène tout droit à notre sujet du jour : « La charrue au repos, les vers de terre au boulot ! ». Vous l’aurez deviné, celui-ci ne résonne pas dans un mégaphone Place de la République mais dans nos champs depuis quelques temps. Ce slogan pourrait être celui de l’AC, un sigle derrière lequel se cache non pas un parti politique mais un parti pris agricole, l’agriculture de conservation. À la manœuvre, des agriculteurs de plus en plus nombreux qui abandonnent la charrue et se convertissent aux techniques culturales simplifiées (TCS) pour favoriser la biodiversité microbienne du sol et, donc, améliorer sa fertilité. Aujourd’hui Résonnances vous dit tout sur ce mouvement qui se manifeste à travers champs !
Répondons tout d’abord à la première revendication de cet article : une définition de l’agriculture de conservation pour tous ! L’AC a été officiellement définie en 2001 par la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, comme reposant sur trois grands principes : couverture maximale des sols, absence de labour, rotations longues et diversifiées. En réalité, pour différentes raisons, historiques ou économiques, on observe souvent une application partielle de ces principes : le labour est remplacé par différents degrés de travail superficiel du sol, sans couverture permanente du sol ni allongement des rotations culturales. Ainsi, une grande diversité de systèmes, ayant en commun l’absence de retournement du sol par le labour, se rattache à l’AC : s’y côtoient des modèles de grandes cultures simplifiés associant semis direct et utilisation d’herbicides totaux, aussi bien que des systèmes très innovants comme le semis direct sous couvert pérenne (blé sur un couvert de luzerne, colza sur un couvert de trèfle, etc.).
Mais alors, ce projet est-il juste belle promesse de campagne ou une réalité de terrain ? L’AC se rattache naturellement à la notion d’intensification écologique et à celle, adjacente, d’agro-écologie, où il est question d’utiliser intensivement les processus biologiques et écologiques des écosystèmes, plutôt que les intrants. Elle implique donc une conception différente de la manière de produire. « À ce titre, explique Pascale Mollier de l’INRA, on peut aussi la considérer comme un phénomène sociologique, porteur de valeurs et drainant des mouvements militants. L’absence de labour en est la composante la plus emblématique, sous-tendue pour certains agriculteurs par un rejet de la rationalité technique et le désir de retrouver un lien avec la nature ».
Mais dites donc, ne serait-on pas en train de faire du neuf avec du vieux vous demandez-vous ? Vous avez bien raison de poser la question : en quoi l’agriculture de conservation diffère-t-elle de l’agriculture biologique ? Bien qu’elles s’appuient l’une et l’autre sur des processus naturels, l’AC n’interdit pas le recours à des intrants chimiques. Les herbicides revêtent même une certaine importance en AC, en particulier pendant la phase de transition, tant que l’équilibre dans les populations d’adventices n’est pas rétabli. Cela dit, en raison du rôle que jouent les organismes vivant dans le sol avec ce système de culture, l’emploi de produits chimiques, et notamment d’engrais, fait l’objet des plus grandes précautions. En règle générale, les agriculteurs qui pratiquent une agriculture de conservation utilisent moins d’intrants chimiques que les agriculteurs traditionnels.
Comment ? Voilà que j’entends monter une autre revendication : l’agriculture de conservation n’est-elle applicable qu’en grandes cultures ? Posez ce mégaphone à terre, bonne nouvelle, l’AC est applicable à une vaste gamme de productions végétales, telles que les légumes, la pomme de terre, la betterave, la canne à sucre et le manioc. Les techniques agricoles de conservation peuvent aussi être appliquées aux cultures pérennes, par exemple aux fruits et aux vignes.
Mais alors, quid de l’élevage dans une agriculture de conservation ? Une fois n’est pas coutume, voici une réforme qui n’oublie personne! L’élevage peut être parfaitement bien intégré dans une agriculture de conservation, grâce au recyclage des éléments nutritifs. L’agriculteur peut introduire des plantes fourragères dans la rotation des cultures, ce qui aura pour effet de l’allonger et réduira les problèmes de ravageurs. Les récoltes fourragères peuvent alors avoir un double emploi : le fourrage et la couverture hivernale du sol. « Il faudra toutefois résoudre les conflits relatifs à l’utilisation de la matière organique – alimentation des animaux ou couverture du sol -, en particulier dans les zones arides ayant une faible production de biomasse », explique la FAO.
Mais qu’en pense l’appareil législatif ? Ça, on ne sait pas mais on peut vous parler des appareils agricoles en revanche ! Dans la majorité des exploitations où l’AC est pratiquée, le nombre d’interventions sur la parcelle est réduit et celui des outils aussi. Cependant, si la charrue et les herses ne sont plus nécessaires, l’agriculteur doit au moins disposer d’un semoir pour semis direct. Petit bonus : grâce à l’abandon du labour, il peut utiliser des tracteurs de faible puissance.
Dernière question de notre grand débat : qui pratique l’agriculture de conservation ? L’AC est aujourd’hui adoptée par un nombre croissant d’agriculteurs dans le monde, principalement en Amérique du Nord et du Sud, mais aussi en Afrique et en Asie. 117 millions d’ha dans le monde, soit 8 % des terres, étaient cultivées selon les principes de l’agriculture de conservation en 2011.
Elle a de grandes potentialités en Afrique subsaharienne car elle permet de maîtriser l’érosion et garantit une plus grande stabilité des rendements. De nombreuses initiatives sont en cours pour promouvoir les différentes techniques agricoles de conservation, du labour zéro aux systèmes intégrés. En Europe, les motivations économiques – gain de temps et économie de carburant – priment souvent sur la lutte contre l’érosion et le véritable semis direct reste rare. Les pratiques en agriculture de conservation concernent des techniques culturales simplifiées (TCS), avec abandon du labour mais travail du sol superficiel, ou bien des labours occasionnels, essentiellement dans les grandes exploitations spécialisées dans les cultures annuelles (céréales à paille et colza). En France, 34% des parcelles de grandes cultures étaient répertoriées en non-labour en 2011, dont plus de 50% des surfaces dans les exploitations de grandes cultures de plus de 300 ha, soit 17% de la SAU. Cependant, le semis direct ne représentait que 4% des surfaces en blé tendre et blé dur, 1% en orge et en tournesol, 0,5% en colza (source Agreste).
Ça y est, vous savez tout sur l’AC, le sigle qui ne se lit pas sur des bannières mais fleurit à travers champs !