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Pourquoi l’agriculture n’évolue-t-elle pas plus vite que la musique ?

Dans un monde où désormais tout va vite, très vite, nombreux sont ceux qui aimeraient voir l’agriculture et ses pratiques suivre le rythme. Pourtant, si aujourd’hui il y a une activité qui sait vraiment suivre le bon tempo, c’est bien elle. Pourquoi, aux yeux de certains, le monde agricole n’évolue-t-il pas plus vite que la musique ? Réponse maintenant sur le blog de l’agriculture expliquée par ceux qui la connaissent.

D’abord, parce que la « matière première » des éleveurs et des agriculteurs c’est le vivant. Un vivant qui a 1001 manières de s’exprimer en fonction du climat, du type de sol, de l’organisation de chaque exploitation agricole… et qui oblige sans cesse les agriculteurs à réinventer leur savoir-faire. Un vivant qui a aussi 1001 visages, ceux de centaines de variétés cultivées, parfois dans une même exploitation agricole ou une même région. Impossible dans ces conditions de greffer sur cette « matière première vivante » une ou des nouvelles innovations avec un seul et même protocole. Chaque nouvelle avancée nécessite un diagnostic et des adaptations personnalisés et cela prend du temps. Beaucoup de temps. En agriculture, les innovations passe-partout n’existent pas !

Pourtant, loin de décourager chercheurs et agriculteurs, l’agriculture innove en permanence et de façon très diversifiée. Pour vous donner une idée, sachez qu’en ce moment par exemple les agriculteurs doivent se familiariser simultanément avec des variétés nouvelles, des produits et méthodes de protection des plantes inédites, des matériels agricoles connectés, des outils d’aide à la décision collaboratifs, des applications digitales spécifiques, des robots…mais aussi avec des réglementations et tâches administratives en mutation permanente. Mais alors de combien de temps une seule de ces innovations a-t-elle réellement besoin pour passer du laboratoire à nos champs ?

Le chronomètre commence avec la recherche : pour vous donner une idée, une nouvelle variété nait en 10 ou 15 ans. Comment ? On vous avait dit que c’était long voyons ! Une fois sur le « marché » celle-ci doit encore être testée plusieurs années en situation réelle par les agriculteurs qui la choisissent eux-mêmes par rapport au sol et au climat de leur région et de leur exploitation. Ce test grandeur nature s’inscrit toujours dans une démarche pédagogique au sein de groupes d’agriculteurs animés par des techniciens agricoles vulgarisateurs ou via des échanges sur des réseaux spécialisés par internet. Là encore pas de machine à avancer le temps, c’est un véritable travail d’expertise qui s’inscrit dans la durée. Et s’il s’agit de matériel (par exemple un robot de traite ou un pulvérisateur de précision) cela nécessite des investissements, qui eux aussi demandent de l’anticipation. Ensuite ? Ensuite la réponse est dans le champ pardi ! Plus la récolte est belle, plus la qualité est au rendez-vous, plus l’innovation a de chances de dépasser les frontières de son laboratoire à ciel ouvert.

Mais la récolte (qu’elle soit jugée sur la quantité ou la qualité) est-elle la seule à décider de l’adoption d’une innovation? Que nenni ! Avant de se démocratiser dans les champs, la politique doit elle aussi trancher. Et comment dire… Le temps biologique et le temps agronomique ne sont pas le temps des politiques. Il faut par exemple près de 10 ans avant qu’un substitut aux produits phytosanitaires ne soit adopté. Pourquoi ce délai ? Réponse… Dans notre 2ème paragraphe. Hé oui, encore une fois, qui dit pas de culture unique dit pas de substitut unique. C’est un vrai panel de techniques comme la succession culturale, le bio-contrôle ou les auxiliaires de cultures qui doivent être testés, adaptés et évalués.

Autre fait marquant : l’agriculture est une activité profondément humaine. Pas étonnant donc que la sociologie ait ici son mot à dire aussi. Dans un monde en pleine mutation, l’évolution des relations famille-exploitation, la place des femmes dans les exploitations ou encore la démocratisation d’internet influencent la gestion des ressources humaines et se répercutent sur la mise en œuvre des pratiques, qui là aussi ont besoin de temps pour être adoptées et bien utilisées. Par ailleurs, si les agriculteurs sont les premiers acteurs du changement dans les champs, leurs filières de production ou de ventes sont très souvent elles-mêmes prescriptrices d’innovations. Résultat, pour les agriculteurs qui doivent répondre à leurs exigences en termes de volume, qualité et régularité, elles riment souvent avec nouveaux équipements, investissements, organisation de travail revisitée et nouvelles compétences.

Pour les éleveurs et les cultivateurs, dans ce contexte, la pilule du progrès est parfois difficile à avaler. Entre la peur de faire prendre des risques à la santé de leurs cultures et à leur budget, le manque de recul technique et de visibilité à moyen et long terme des politiques publiques, certains freinent des 4 fers devant l’innovation. Comme le disait déjà en 1898 le célèbre agronome Pierre-Paul Dehérain: « Les découvertes les plus brillantes ne seront d’aucun profit, si l’agronome ne décide pas les cultivateurs à les appliquer. Or, ce n’est malheureusement qu’avec lenteur que la grande armée agricole se met en mouvement, elle ignore les marches rapides ».

Mais alors, loin d’aller plus vite que la musique, l’innovation agricole est-elle en retard comparée à la marche du progrès dans les autres industries ? Chhhhuuuut… Tendez l’oreille, encore, encore un peu plus… Voilà. Le tempo de l’innovation de l’agriculture est presque invisible pour qui ne prend pas le temps de se promener à travers champs et pourtant… Pourtant, ces bandes enherbées le long des rivières et des cours d’eau n’existaient pas il y a 10 ans. Pourtant les sols nus en hiver n’ont jamais été aussi peu nombreux. Pourtant, les analyses de sols ou de plantes sont aujourd’hui légions, les pulvérisateurs soumis au contrôle technique… Pourtant tambours battants mais à son rythme, l’agriculture ne cesse d’innover !