Économie
octobre 7, 2020
Devons-nous craindre une pénurie de phosphore ?
Depuis le temps que vous nous lisez, vous le savez : agriculture et chimie vont souvent de paires. Pas étonnant donc que nous vous parlions aujourd’hui du phosphore, un élément aussi irremplaçable qu’indispensable pour tous les êtres vivants, dont les plantes. En effet, non seulement il est un composant de molécules essentielles à la vie et un constituant des parois cellulaires, mais en plus il intervient dans les processus physiologiques de la respiration et de la photosynthèse, tout en favorisant la croissance, la précocité et la résistance au froid. Vous l’avez compris, ce couteau-suisse du vivant est un élément clé ! Mais alors, une pénurie de phosphore est-elle à craindre dans le futur ? Le blog de l’agriculture expliquée par ceux qui la connaissent mène aujourd’hui l’enquête pour vous.
Celle-ci commence sous terre, dans les sols agricoles pour être précis, là où les plantes puisent à la source cet élément nourricier. C’est par leurs racines qu’elles prélèvent le phosphore à l’état ionique dissous dans des sols en contenant entre 0,1 et 2,5 mg par gramme de sol sec. Cette quantité peut varier en fonction de la nature du substrat géologique, du système de culture et des apports d’engrais ou d’effluents d’élevage. Il faut également noter que les bilans en phosphore sont très variables, soit excédentaires en système avec élevage dominant, soit proches de l’équilibre ou même déficitaires en production végétale sans élevage. Les analyses de terre permettent de connaître à la fois la quantité totale de phosphore et la teneur des différentes formes de phosphore présentes dans les sols :
– La partie dissoute dans la solution du sol, directement utilisable par la plante, est infime (environ 0,02%).
– La partie adsorbée sur le complexe argilo-humique de la matière organique qui représente 5% du total de phosphore du sol. Cette fraction est plus ou moins échangeable avec la solution du sol et donc plus ou moins disponible pour la plante.
– La partie fixée au fer, au calcium ou à l’aluminium, représente près de 95%. Cette masse importante fortement retenue dans le sol constitue une réserve du phosphore total susceptible d’être partiellement disponible pour les plantes dans certaines conditions favorables.
Mais alors, que faut-il retenir ? Que la biodisponibilité du phosphore pour les plantes est très limitée. En effet, en plus de dépendre de la capacité de leurs systèmes racinaires, les plantes doivent aussi parier sur leurs propriétés d’échanges avec les phases solides des sols au niveau de la rhizosphère. De la rhizoquoi ? De la rhi-zo-sphère : des champignons vivant en symbiose avec le système racinaire sous forme de mycorhizes, des bactéries et des enzymes interviennent pour augmenter la capacité d’échange et enrichir la part du phosphore total accessible ! Il existe des différences importantes entre céréales et légumineuses de ce point de vue et c’est l’un des intérêts d’associer leurs cultures. Bref, pas si facile donc pour les plantes de faire le plein de ses bienfaits. Voilà pourquoi les agriculteurs privilégient le plus souvent la localisation des engrais phosphatés au plus près des racines des plantes
Maintenant que nous savons que le phosphore est indispensable à la vie des plantes, et donc pour nous une denrée aussi précieuse que difficile d’accès, revenons à nos moutons : une pénurie est-elle à craindre dans le futur ? À l’échelle mondiale, l’agriculture consomme 90% de l’extraction de roches phosphatées – les phosphates naturels – en grande partie pour la production d’engrais minéraux (82%) et en moindre quantité pour la production de compléments minéraux pour les animaux d’élevage. Ressource non renouvelable à l’échelle humaine, la raréfaction du phosphore menacera notre sécurité alimentaire d’ici 1 à 2 siècles selon les estimations de différents chercheurs, sauf si l’on découvre d’autres gisements !
Mais au-delà de l’épuisement inéluctable de ces réserves, c’est surtout le risque géopolitique qui inquiète : en effet la quasi-totalité de celles-ci est détenue par un très petit nombre de pays dans lesquels le Maroc et le Sahara occidental pèsent lourd, l’Union Européenne ne disposant que très peu de ressources, en Finlande.
La conséquence à venir ? Une augmentation du prix des engrais phosphatés aussi sûre que rapide ! Résultat, cette baisse tendancielle des apports de phosphore conduit à multiplier les innovations pour optimiser la biodisponibilité du phosphore pour les plantes.
Aujourd’hui, deux solutions complémentaires se distinguent :
– Substituer aux engrais phosphatés des effluents d’élevage en recyclant les résidus de phosphore rejetés par les animaux. C’est l’atout des systèmes d’exploitation combinant cultures et élevage.
– Recycler des effluents urbains en extrayant le phosphore de l’urine domestique et en valorisant nos… excréments. Le phosphore est en effet présent en abondance dans les eaux usées des stations d’épuration ! Un démonstrateur de cette technologie utilisant un procédé biologique innovant pour recycler le phosphore présent dans les champs est actuellement en fonctionnement dans le nord de la France.
Bilan de notre enquête ? Si une pénurie de l’indispensable phosphore est bien à craindre dans les siècles à venir, l’agriculture multiplie déjà les innovations pour palier sa raréfaction et continuer à nourrir le monde.