Google+
Google+
Google+
header

Histoire d’une plante à protéines : la fèverole

Il était une fois… un article du blog de l’agriculture expliquée par ceux qui la connaissent qui s’apprête à vous narrer non pas un conte de fées, mais un conte de fèves ! Point de cruelles marâtres, de baguettes magiques et de chaudrons bouillonnants, mais de savoureux rebondissements qui vous feront découvrir la féverole, la (trop) discrète héroïne de notre histoire du jour.

Et ce n’est pas parce qu’aucune marraine n’est présente que nous n’allons pas, pour commencer, nous pencher sur le berceau de notre jolie plante à protéines. La féverole – ou Vicia faba – appartient à la noble famille des fabacées ou papilionacées et c’est une légumineuse. Mais contrairement à ses autres congénères, son origine est parée de mystères car on ne connait pas sa forme sauvage. Mais alors, d’où vient-elle ? À l’exception d’un site datant de 6 800-6 500 av. JC. près de Nazareth, les premières traces de notre féverole remontent au néolithique tardif, au Proche-Orient et en Europe. C’est là qu’elle est domestiquée avant de prendre le large et de multiplier les lieux de migration et de diversification. Cette légumineuse a en effet plusieurs tours dans sa gousse, dont une culture du type petite graine (féverole) au nord de l’Europe et une culture du type grosse graine (fève) dans le bassin méditerranéen. Elle s’étend ainsi tout au long de l’âge du fer jusqu’à s’exporter en Chine vers 2 800 ans avant notre ère, où elle connait un certain succès. Mais il faudra attendre le XVIe siècle pour qu’elle soit introduite en Amérique du Sud et en Amérique Centrale. Discrète aujourd’hui, dans l’Antiquité elle était pourtant l’une des bases de l’alimentation humaine et animale malgré de nombreux tabous autour de sa consommation. En effet, dans l’Egypte Ancienne « le champ de fèves » désignait le lieu où les Ka, les âmes des défunts, attendaient la réincarnation. Par ailleurs, pour Pythagore qui aurait mieux fait de s’occuper de ses triangles rectangles, manger des fèves revenait à dévorer ses propres parents et interrompre le cycle des réincarnations, la fève étant le symbole de l’embryon et du devenir, rien que ça ! Bilan des courses et des mystères, recommandée par les agronomes latins pour l’alimentation des bovins, la féverole a surtout été utilisée pour nourrir les chevaux.

Mais vous l’avez lu un peu plus haut, notre légumineuse du jour pare ses gousses de graines plus ou moins dodues. Mais comment une telle coquetterie est-elle possible nous direz-vous ? He bien la féverole se divise en trois sous-espèces : la féverole à petits grains, la Vicia faba minor, la féverole à grains moyens, la Vicia faba equina, et la féverole à gros grains, dénommée aussi fève, la Vicia faba major. Répondant également au nom de fève potagère, cette dernière destinée à l’alimentation humaine est consommée soit à l’état jeune, crue ou cuite, soit à maturité comme légume sec. Vous l’aurez compris, la féverole et la fève font gousse à part, et il en va de même pour leurs cultures respectives. Ainsi, la fève est cultivée dans le bassin méditerranéen, en Amérique du Sud et en Chine. L’Espagne en est le premier producteur de l’Union Européenne.

Elle est également cultivée par nos maraichers pour alimenter les étals de nos marchés. La culture de la féverole a quant à elle, suivi un chemin plus tortueux : largement cultivée au XIXe siècle en France, ses surfaces ont fortement diminué, d’abord à cause de la disparition des chevaux de trait, puis, à partir de 1945 à cause de la concurrence du tourteau de soja. C’est pour cette même raison que la sélection de la féverole n’a réellement débutée en France que dans les années 1970… suite à la crise du soja après l’embargo des Etats-Unis à l’encontre de la Communauté Européenne ! Depuis les années 1980, ses surfaces progressent mais les impasses techniques pour maîtriser le désherbage et les parasites, tels que la bruche, freinent son développement qui reste marginale avec 64 000 ha en 2018. Les principaux producteurs de féverole dans le monde sont dans l’ordre décroissant : la Chine avec 40% de la production mondiale, l’Ethiopie, le Royaume-Uni, la France, l’Australie et l’Egypte. La production française est exportée majoritairement en graine entière en Europe et vers l’Egypte. Ce dernier pays étant un fort consommateur soit de la graine entière, le « foul » des pays arabes, soit en purée de graines décortiquées vendues sous le terme de « févettes », soit réduite en semoule ou farine pour fabriquer les « falafels », célèbres dans tous les pays du Proche-Orient.

Comme beaucoup de ses congénères de la famille des légumineuses, la féverole a de nombreux atouts dans sa gousse qui expliquent son succès dans le monde entier. First but not last, ses capacités à fixer l’azote de l’air sont parmi les plus élevées des légumineuses à graines grâce à la bactérie Rhizobium leguminosarumbv.Viciae qui lui est associée et qui est présente naturellement dans les sols européens. Résultat, la culture de la féverole ne nécessite aucun engrais azoté. Mieux, grâce à sa teneur élevée en protéines qui la propulse sur le podium des solutions aux importations de protéines végétales, elle est un bon complément pour l’autonomie alimentaire et protéique des élevages. C’est l’une des alternatives au tourteau de soja dans les rations pour l’alimentation des vaches laitières ou des jeunes bovins, en complément des tourteaux tannés sous forme de graines de féverole, broyées ou aplaties. Mais la liste de ses atouts ne s’arrête pas là : tolérante aux excès d’eau mais sensible à la sécheresse, capable d’étouffer les mauvaises herbes, la féverole d’hiver se prête bien à la culture biologique, représentant ainsi 70% des protéagineux cultivés en culture pure en agriculture biologique en France (7500 hectares en 2012 soit près de 10% des surfaces de féverole). Elle y est cultivée soit seule, soit en mélange avec des céréales sous forme d’associations ou « méteils » comme l’association féverole-blé. La technique de couvert de féverole associé au colza est intéressante pour les aspects restitution d’azote et structuration du sol, en particulier dans les pratiques d’agriculture de conservation. La technique consiste à associer un couvert de féverole au colza à l’implantation de la culture. Ce couvert reste en place à l’automne et est détruit pendant l’hiver.

Bonne pour les cultures, excellente pour les élevages et délicieuse pour nos papilles, la féverole est récoltée sous toutes ses formes :

  • La graine encore verte, dans le cas de la consommation humaine à partir de gousses fraîches.
  • La graine sèche, utilisée comme complément en protéines pour l’alimentation animale ou humaine.
  • La plante entière, utilisée comme engrais vert ou consommée en fourrage par les animaux en vert, en ensilage ou déshydraté

Si comme nous l’avons souligné avec gourmandise un peu plus haut, elle fait les délices de la cuisine du Moyen-Orient, elle est aussi très utilisée dans la cuisine traditionnelle chinoise. En Europe, sa farine est traditionnellement utilisée en boulangerie à raison de 1 à 2% ajoutée dans la farine de blé pour blanchir et renforcer la tenue de la mie de pain ainsi que dans le secteur de la viennoiserie-pâtisserie sous forme de concentrés protéiques. De plus, elle est aujourd’hui un ingrédient de choix comme substitut aux protéines animales ou pour enrichir des produits de consommation courante en protéines : semoule de blé, pâtes, pains. La farine de féverole, 100% sans gluten, rentre dans la composition de pain sans gluten ainsi que de pâtes sans gluten.

Décidément, la féverole n’a peut-être pas de marraine la bonne fée mais elle appartient bien à la noble famille des légumineuses, plantes à protéines qui ont tout -vraiment tout – bon !  Et … on ne pouvait pas terminer ce post sans vous rappeler que c’était l’une de ses grosses graines sèches que l’on dissimulait dans la galette des rois pour désigner l’heureux élu lors de l’Epiphanie, avant qu’elle ne soit remplacée courant du XIX ème siècle par des fèves en porcelaine ou autre matière.