Innovation
décembre 20, 2016
Labourer, un labeur obligatoire ?
La figure universelle et intemporelle du cultivateur est celle du laboureur. Cette image a traversé les époques jusqu’à nos jours. Mais aujourd’hui, avec les progrès technologiques et les avancées agronomiques, labourer est-il toujours un labeur obligatoire ? Le progrès a t-il mis les laboureurs au chômage technique ?
Commençons par le commencement : au début était le chasseur-cueilleur, à l’existence nomade et précaire. Vint ensuite la sédentarisation au cours du Néolithique, qui a commencé il y a huit à dix mille ans en Europe : l’homme commence alors à cultiver, s’assurant une subsistance plus régulière que les hypothétiques cueillettes. Pour réaliser ses tous premiers semis, notre cultivateur en herbe fouisse d’abord le sol avec un bâton plus ou moins épointé, avant de piocher la terre avec un outil monté sur un manche (la houe). Les premiers succès conduisent à rationaliser cette activité en traînant la houe, d’abord avec des hommes, puis avec des animaux de traits : l’araire était né (IVème millénaire avant JC en Mésopotamie). Cet ancêtre de la charrue fouissait le sol en l’ameublissant, sans le retourner.
Équipée d’un versoir, la charrue a complété les fonctions agronomiques en retournant la terre. Répandue en Europe vers le Xe siècle elle permet alors d’enfouir les végétaux couvrant le sol et d’incorporer les résidus. D’abord toute de bois vêtue, la charrue se pare progressivement d’éléments en fer modelés par les forgerons. Les pièces s’usant au contact du sol (justement appelées le fer) étaient amovibles pour pouvoir être affutées par un martèlement à chaud du maréchal-ferrant. Labourer, devient alors une tâche noble et l’on n’est pas peu fier dans les campagnes de parader à travers champs avec son attelage laboureur. Il existe d’ailleurs encore aujourd’hui des concours de labours organisés à l’échelon local par les Jeunes Agriculteurs (syndicat agricole), avec une finale nationale et même internationale !
Au fil des années, le labour évolue. Mais si la charrue se réinvente à chaque révolution technologique, traversant les âges sans prendre une ride, son travail de la terre lui, a toujours les mêmes fonctions :
– Ameublissement du sol sur une certaine profondeur pour créer un « lit de semence » favorable à la germination et à la bonne levée des graines semées
– Destruction des mauvaises herbes, en les arrachant et les enfouissant en fond de labour, mais aussi en incorporant leurs graines ce qui limite leur germination ultérieure et produit un effet « nettoyant ». – incorporation des résidus de la récolte précédente, en particulier les chaumes de paille (qui perturbent le semis) et les fumures organiques (fumiers épandus avant une culture). Les résidus, s’ils sont bien mélangés au sol, au moment du labour, se décomposent en moins d’un an et contribuent à l’alimentation minérale des cultures (surtout en potasse)
– Limitation des risques parasitaires : certaines maladies cryptogamiques (liées à des champignons) et insectes ou ravageurs (limaces, …)
– Accélération de la minéralisation de l’humus du sol, contribuant à l’alimentation minérale des cultures.
Au fil des siècles, le labour n’a pourtant pas récolté que des admirateurs. Mais que reprochent vraiment ses détracteurs à cette technique millénaire ?
Avant tout d’être une opération très gourmande en énergie et relativement lente, comparée à la majorité des techniques culturales. Sa faible largeur de travail, sa vitesse d’avancement modérée et la nécessité d’une forte puissance de traction surtout dans les sols lourds ou argileux sont autant de freins à sa célérité.
D’autre part, les labours réalisés à l’automne ou pendant l’hiver laissent un sol nu soumis aux intempéries qui peuvent provoquer des ruissellements engendrant de l’érosion dans les sols en pente et/ou de texture limoneuse ou sableuse.
Enfin, l’évolution de la puissance des tracteurs, dans les années 1950-60, a permis d’augmenter la profondeur des labours et les rendements des cultures par la même occasion dans les sols de limons profonds du Nord de la France, profitant pendant quelques décennies d’un effet positif de la minéralisation de la matière organique. Mais, cette dernière s’est trouvée diluée dans un volume de sol plus important et certaines difficultés ont pu apparaître localement : sensibilité accrue à la battance (sol plaqué et asphyxié au moment de fortes pluies), compactages profonds perturbant l’enracinement des cultures, etc.
Manque de rapidité, manque de respect de l’environnement et de certains sols, et si ce qui met aujourd’hui la pratique ancestrale du labour en porte-à-faux était le reflet des nouveaux enjeux de l’agriculture moderne ?
En 2016, plus question de labourer systématiquement les cultures. Malgré l’augmentation de la force motrice des tracteurs, l’ameublissement du sol peut être réalisé par d’autres moyens que le labour. L’utilisation d’outils à dents, par exemple, peut suffire pour préparer le sol, lorsqu’il n’y a pas de risques particuliers de mauvaises herbes ni trop de résidus à enfouir : on parle alors de travail simplifié du sol. Ainsi, aujourd’hui, près d’1/3 des surfaces ne sont pas labourées, principalement les céréales et le colza. Dans certaines régions, ce chiffre peut atteindre 75%.
La mise au point de nouveaux matériels de semis conduit même certains agriculteurs à envisager des semis directs sur couverture végétale permanente. Cette technique (importée de régions du monde où les sols sont très fragiles vis-à-vis de l’érosion) consiste à limiter les interventions mécaniques en modifiant les rotations (successions des cultures dans un champ d’une année sur l’autre), en installant des couverts végétaux qui protègent le sol et les cultures, en appliquant de nouvelles méthodes agronomiques comme le travail du sol sur quelques centimètres de largeur réalisant la ligne de semis ! Cette pratique est encore très minoritaire, mais ses avantages agronomiques séduisent un nombre croissant d’agriculteurs et pourraient participer à la mise en œuvre d’approches relevant de l’agroécologie.
N’en déplaise à ses détracteurs, le fait de ne pas labourer a aussi son lot de désagréments comme une utilisation un peu plus importante des désherbants chimiques. En effet, la généralisation du désherbage chimique a beaucoup contribué à limiter le labour chaque fois que c’était possible. Le labour reste donc une technique quasi-incontournable pour certaines rotations de cultures en agriculture biologique.
De plus, les cultures de printemps comme le maïs, mais surtout les betteraves et les pommes de terre sont presque toujours implantées après un labour réalisé avant l’hiver, le développement des racines et des tubercules nécessitant l’ameublissement d’un gros volume de terre. L’alternance gel-dégel au cours de l’hiver, puis humidification-dessiccation au printemps fragmentent les blocs de terre retournés par la charrue. C’est donc le climat, qui en partie, fournit le travail dans ce processus de préparation de la terre pour les semis de printemps.
Alors technique agricole datée vouée à disparaître au profit de nouvelles avancées agronomiques pour certains ou savoir-faire intemporel pour d’autres, le labour a encore de beaux jours devant lui tant qu’il saura se montrer indispensable.
Liens et références :
1. Historique du travail du sol-Interactif
2. Statistiques :
Agreste 2006
Agreste 2011 : Interventions mécanisées – Pas de labour sur 1/3 des surfaces