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Le ver est-il dans le pré ?

Quand ils sont dans le fruit les « vers », qui sont en réalité des larves d’insectes, sont des nuisibles. Contrairement aux « vers de terre » qui sont de précieux auxiliaires de l’agriculture. Aujourd’hui, le blog de l’agriculture expliquée par ceux qui la connaissent lève le voile sur la véritable relation qui unit ces invertébrés et les paysans.

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Politesse oblige, commençons par les présentations. Amis lecteurs, laissez-nous vous en dire un peu plus sur les vers de terre, invertébrés dépourvus de pattes qui appartiennent, excusez-les du peu à la sous-classe des Oligochètes – littéralement « qui ont peu de poils ». Le sous-ordre des Lumbricina regroupe l’ensemble des vers de terre : 13 familles et plus de 6000 espèces décrites au total dans le monde.

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Maintenant que vous connaissez leurs petits noms, passons à la leçon d’anatomie. Nos invertébrés amateurs du plancher des vaches ont un corps bordé de soies et constitué d’anneaux successifs appelés segments, entourés d’une musculature longitudinale et d’une musculature circulaire. Les deux premiers anneaux ainsi que le dernier n’ont pas de soies mais des fonctions bien particulières, le 1er sert de pointe, le 2ème de bouche et le dernier d’anus. Les vers de terre n’ont pas de poumon et respirent par la peau, c’est donc pour permettre la respiration et éviter la déshydratation (et non par plaisir d’être baveux à souhait) qu’ils gardent leur corps humide.

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Côté tube digestif, ça se complique. Assez élaboré, il comprend une bouche, un pharynx qui sert aussi de ventouse pour tirer les aliments dans ses galeries et de broyeur pour les triturer. La forte activité microbienne de son tube digestif permet au ver de terre de consommer 20 à 30 fois son volume en terre chaque jour.
Cette anatomie si particulière a donné naissance à une croyance populaire pas ordinaire : un ver de terre coupé en trois se transformerait en trois vers bien distincts et bien vivants. Comme beaucoup de légendes, celle-ci a un fond de vérité ! En réalité, lorsqu’un ver est coupé en deux, seule l’une des deux moitiés a éventuellement une chance de survivre selon l’emplacement des organes vitaux lors de la coupure. Si la tête et les organes sexuels sont présents, le ver reconstitue partiellement ses anneaux manquants. Cependant, ce phénomène d’autonomie et de régénération reste limité et ne fait pas du ver de terre un immortel pour autant.

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Loin des croyances populaires, c’est sur ses connaissances scientifiques que Marcel Bouché s’est basé pour recenser 140 des 150 espèces de lombriciens connues à ce jour en France. Parmi elles, les Lumbricus terrestris (ver de terre commun), les Lumbricus rubellus ou Eisenia fetida (ver du fumier) sont les plus présentes dans l’hexagone. Marcel Bouché a classé les lombrics français en trois catégories écologiques, fondées sur des critères morphologiques (pigmentation, taille), comportementaux (alimentation, construction de galeries, mobilité) et écologiques (longévité, temps de génération, prédation, survie à la sécheresse):

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– Les anéciques (du grec anesis «élasticité») sont des grands vers pigmentés vivants dans des galeries le plus souvent verticales et permanentes (jusqu’à 3 mètres de profondeur). Ils se nourrissent principalement de matière organique en surface (espèce phytosaprophage) et exceptionnellement de celle contenue dans le sol.

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– Les endogés, des vers non pigmentés de taille moyenne, élisent domicile dans un réseau de galeries horizontales qu’ils creusent dans les premiers centimètres de sol. Ils consomment la matière organique qu’il contient. Plus ce sol est profond, moins il est riche en matière organique. Ainsi les endogés oligohumiques ingèrent le sol le plus pauvre, tandis que les polyhumiques consomment le plus riche en matières organiques en voie de décomposition présents dans les couches superficielles.

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– Enfin, last but not least, les épigés ! Ces petits lombrics pigmentés vivent dans la litière à la surface du sol et se nourrissent de ses matières organiques en décomposition. Un poil paresseux, ils ne creusent pas ou alors seulement de petites galeries très superficielles.

Les épigés, les endogés et les anéciques représentent respectivement environ 1%, 20% et 80% de la biomasse lombricienne des sols en milieux tempérés.

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Maintenant que les présentations sont faites, revenons à la question qui nous taraude : Le « ver » est-il dans la pomme quand les lombrics sont dans le champ ? Une chose est sûre, les lombrics sont dans tous les prés ! Ils représentent la biomasse terrestre la plus importante avec une tonne par hectare en moyenne et jusqu’à quatre tonnes dans certaines prairies. Pour vous donner un ordre d’idée, un hectare de terre agricole a une masse de 4500 tonnes pour une profondeur de 30 centimètres.

Comme les agriculteurs, les vers de terre ne chôment pas dans les champs. Grâce à leur anatomie qui n’a plus de secret pour vous, 250 000 lombrics passent entre 300 et 600 tonnes de terre dans leurs tubes digestifs par an sur un hectare en moyenne. Dans sa carrière, les champs d’un paysan sont «labourés» bénévolement 3 à 6 fois par ces voraces invertébrés ! Ce coup de main de Dame Nature n’est pas sans conséquence sur la santé de la terre et sa productivité. Leurs galeries favorisent le passage de l’air et de l’eau, réduisant ainsi les risques d’engorgement, permettant l’apport d’oxygène nécessaire à la vie du sol et améliorant l’enracinement des plantes et l’accès aux éléments nutritifs.

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Bons élèves de l’environnement, les lombrics jouent, aux côtés d’autres organismes de la faune et de la flore, un rôle important dans le recyclage de la matière organique et de l’enrichissement des sols. Très actifs près des systèmes racinaires, ils fragmentent et enfouissent les résidus organiques et participent fortement à leur décomposition en les ingérant et en les digérant. Brassé avec les particules minérales du sol, ils répartissent l’ensemble plus ou moins profondément pendant leurs déplacements.

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Autre bon point pour l’environnement, en entretenant le « puit de carbone » des sols, les vers de terre limitent drastiquement le réchauffement climatique. Mais comment font-ils ?
Appelés par les agro-pédologues « complexe argilo-humique », la digestion de la terre par les vers de terre créé un complexe stabilisé d’éléments minéraux et de matière organique. Ce mélange fortifie la structure des sols et favorise ainsi une meilleure résistance à l’érosion et au tassement et intervient dans l’équilibre chimique des sols en améliorant les échanges d’eau et d’éléments minéraux, bon pour la fertilité des sols agricoles.

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L’humus, constitué de la matière organique liée aux particules minérales de ce fameux complexe argilo-humique est particulièrement stable et séquestre à long terme le carbone qu’il contient.

Laboureurs bénévoles, bourreaux de travail et acteurs majeurs de la lutte contre le réchauffement climatique, les lombrics sont définitivement du côté des agriculteurs ! Mais comment ceux-ci préservent au quotidien les vers de terre dans leurs parcelles cultivées ?

Très sensibles aux perturbations de leur environnement, les lombrics préfèrent les prairies et les jachères. Dans les champs cultivés, il faut donc autant que possible limiter le travail du sol grâce à des labours plus espacés dans le temps, à des cultures tête de rotation ou des techniques de travail sans retournement. Les espèces de vers qui vivent dans les couches supérieures, les anéciques et les épigés, sont les plus sensibles au travail de la terre et aux pesticides dont l’application doit donc être évitée au maximum sur sol nu. Selon une étude de l’INRA, une réduction de 50% des pesticides entrainerait une forte augmentation des populations de lombrics, dans les densités pourraient être multipliées par 1,5 à 4,8 selon les espèces. De plus, les lombrics ont des ennemis (oiseaux, taupes, sangliers et autres insectes).

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Les agriculteurs évitent également le tassement des sols en travaillant hors période pluvieuse sur un sol sec et portant, et en limitant la pression des matériels. Ils incorporent aussi souvent des résidus organiques comme du fumier, des effluents, des résidus de cultures ou des engrais verts dont les vers de terre sont friands.

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Si les paysans sont aux petits soins pour leurs assistants invertébrés, les lombrics peuvent aussi compter sur l’aide de leurs voisins de galeries ! En effet, hétérogène, riche en nutriments et possédant des habitats aussi nombreux que différents, le sol est un lieu de vie très prisé par les organismes vivants. Véritable réservoir d’espèces microscopiques. À elle toute seule, la biomasse animale du sol est estimée à 2,5 tonnes en moyenne par hectare dont près de la moitié est constituée de vers de terre.

Toutes ces formes de vie travaillent aux côtés des vers de terre pour améliorer la vie du sol, son fonctionnement, sa fertilité et la productivité des cultures.

En résumé, quand le ver est dans le pré, le bonheur est dans notre assiette !