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La forêt française est-elle un supermarché chinois ?

Nos lecteurs attentifs le savent déjà, les Français sont amoureux. Rien qu’en Île-de-France, on  compte près de 80 millions de promeneurs chaque année. Mais les forêts de feuillus qui ravissent les sens des amateurs de sous-bois et de chasse aux châtaignes n’ont pourtant pas la faveur de notre économie. Hé oui, constituée à 75 % de feuillus alors que la filière bois française a besoin de résineux, notre forêt hexagonale peine à alimenter notre industrie. Pourtant on murmure dans ses bosquets qu’elle serait devenue un supermarché pour les Chinois. Alors, sous-bois français et lois du marché international, le blog de l’agriculture expliquée par ceux qui la connaissent a chaussé ses bottes pour mener l’enquête.

Aujourd’hui, les résineux n’occupent que 25% des surfaces boisées en France alors que ce sont eux dont l’industrie du bois française (qui emploie tout de même 250 000 personnes !) a le plus besoin. Et détrompez-vous, cela n’a rien à voir avec le business des sapins de Noël ! Ces derniers sont d’ailleurs comptés dans les surfaces agricoles, ils ne viennent pas des forêts ! Non, les résineux de nos forêts, on en a besoin pour tous les usages modernes du bois : construction (structure, charpente, menuiserie), emballages (palettes, caisses, coffrages …) 85% du bois scié par nos scieries (première étape de la transformation) est du résineux. Car les résineux sont plus faciles à scier, ils sont plus droits, moins branchus, de véritables planches préfabriquées !

Mais revenons aux feuillus de nos forêts, qui couvrent les trois quarts de nos forêts… que pouvons-nous en faire ? Des meubles, voilà l’idée !! Tout le monde aime les meubles en chêne, c’est naturel, beau, solide… Oui mais c’est cher, et le raz de marée IKEA (pour une fois venu du Nord pas de l’Est !) a fait sombrer l’industrie française du meuble … Un peu le même scénario que celui de l’industrie textile au XXe siècle. Rassurez-vous, il reste un usage où le chêne français est inégalable et même demandé par tous les connaisseurs… Ce sont les tonneaux, pour lesquels les producteurs de vin recherchent les meilleurs chênes de nos forêts, réputés contribuer aux qualités de nos plus grands vins. Mais voilà, il n’y pas que des chênes à merrain (ceux dont on fait les tonneaux) dans nos forêts ; il y a les chênes dits de qualité secondaire qui restaient sur place (pardon sur pied) … jusqu’à ce que les Chinois s’y intéressent !

Et nos résineux, au moins, nous les valorisons ? Nous n’avons pas besoin d’en importer quand même ? Et bien…. La vérité est que nous importons des sciages de résineux, 28 % de nos besoins, surtout pour le secteur du bâtiment qui réclame des bois de plus en plus transformés  (bois lamellés, contrecollés, aboutés, toutes les solutions sont explorées pour renforcer la stabilité et la résistance mécanique des bois). Pour ce secteur, les sciages viennent essentiellement des pays scandinaves, car les résineux du Nord ont poussé plus lentement à cause du froid, ils sont donc plus durs, plus « serrés », plus résistants mécaniquement. Ils sont aussi plus homogènes, on a beau dire, la monoculture qui domine dans ces pays a quelques avantages… ! Et les scieries de ces pays, mieux équipées depuis longtemps, produisent des sciages et des bois d’ingénierie correspondant à la demande de l’industrie du bâtiment… Alors que faisons-nous de nos résineux ?? Nous en utilisons quand même certains pour la construction, notamment pour la charpente traditionnelle et la menuiserie, mais aussi pour fabriquer des palettes, des caisses, des bois de chantiers… Des usages qui peuvent sembler moins nobles mais n’en sont pas moins très utiles à l’économie et au commerce !

Mais alors, comment se fait-il que les Chinois importent du bois de nos forêts, même du chêne (les exportations de grumes de chêne ont été multipliées par 8 en cinq ans et représentent 20 % de la production commercialisée) ?? Et bien parce que la Chine n’a plus de forêt (ils l’ont mal exploitée…) au point qu’elle protège jalousement les surfaces qui lui restent (4% de son territoire). Elle plante à tour de bras (des peupliers OGM, mais passons sur ce détail…). Et comme le niveau de vie de la population augmente, la construction de nouvelles habitations modernes et confortables est en pleine croissance, et il lui faut beaucoup de bois (d’autant plus que les Chinois aiment le bois), au point qu’ils sont prêts à le payer plus cher que les scieurs français !!

 

Comment expliquer que les scieries françaises ne sont pas à ce rendez-vous commercial ?  Une partie d’entre elles ont tardé à se moderniser et à créer de la valeur ajoutée en fabriquant des produits transformés (préférant réclamer des contraintes à l’exportation qui parfois les arrangent …) Mais pour d’autres, la révolution est en marche, les scieries françaises se modernisent, s’équipent des dernières technologies*. Quant aux feuillus, les politiques ont lancé une étude des voies de valorisation possibles… En attendant on continuera à ne récolter que la moitié de la production, ce qui réjouira certains mais n’est pas un bon signe de santé pour notre industrie du bois !

Après cette balade dans les allées du marché international du bois, on voit que nos bois français n’ont pas fini de voyager, bruts ou transformés. Mais dans un monde où tout va de plus en plus vite, la filière bois française n’a pas forcément dit son dernier mot… Car le bois est le matériau de l’avenir, matériau renouvelable absorbant du gaz carbonique pour sa production et le stockant ensuite pendant toute sa vie et au-delà.

* Modernisation qui s’accompagne aussi de restructuration : on est passé de 6800 scieries en 1970 à 1500 aujourd’hui, et le mouvement continue