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Histoire des plantes : la pomme de terre

Aujourd’hui histoire des plantes fait la part belle à la star des potagers, la muse des hachis, celle sans qui les friteuses ne seraient rien : la pomme de terre. Ha vous croyez déjà tout savoir sur notre tubercule du jour ? C’est ce que nous allons voir !

Non, elle n’est née pas dans le Pas-de-Calais, haut lieu des friteries mais loin, très loin de son climat. Le légume préféré des Français a vu le jour il y a 9000 ans en Amérique du Sud où il poussait à l’état sauvage à 3 800 m d’altitude dans la Cordillère des Andes. Des preuves ? Mais bien sûr qu’on en a : un spécimen a été identifié dans un site archéologique datant de 13 000 avant J.-C. dans le sud du Chili. Dès 3 500 avant J.-C. les paysans des hauts plateaux commencèrent à cultiver la muse de Joël Robuchon mais ce n’est qu’au bout d’un long processus de sélection que la patate sauvage fut domestiquée. Hé oui, loin de l’amical tubercule qui s’épanouit en grenailles dans nos assiettes, les pommes de terre des premiers Amérindiens étaient rouges, jaunes ou blanches, petites, très irrégulières, amères et gavées d’alcaloïdes toxiques. Pour pouvoir les consommer toute l’année (voire les consommer tout court), les Amérindiens mirent au point un procédé de conservation tout à fait ingénieux. Ils les faisaient tremper dans l’eau et les étalaient sur le sol. Congelés au cours de la nuit (à l’altitude de 4 000 m l’air est froid et sec) et dorés au soleil la journée, le choc thermique entraînait une déshydratation rapide. Hop une semaine plus tard, exit tubercules ingrats, bonjour boules de fécule appétissantes. Pour activer le séchage, les Indiens piétinaient les tubercules transformés ainsi en une poudre appelée chunos que l’on peut considérer comme l’ancêtre de la purée en flocons. Petit bonus : ces techniques diminuaient leur taux de solanine toxique.

Non, nous ne sommes pas non plus les 1ers à avoir élu la pomme de terre au rang de légume national préféré… Chez les Incas, la pomme de terre, était vénérée en tant qu’enfant de la déesse Pachamama et les grands prêtres du temple du Soleil en ordonnaient eux-mêmes la plantation. C’est d’ailleurs toujours dans ses régions d’origine, de la Cordillère des Andes au sud-ouest des États-Unis, que l’on observe sa plus grande variabilité génétique. Pour arriver en Europe, la pomme de terre a fait exactement le même voyage que le maïs ! Hé oui, c’est aussi dans les cales des navires des conquistadores espagnols qui la « découvrirent » en 1537 qu’elle débarqua sur les côtes du Vieux Continent. Absente de la Bible, elle est d’abord considérée comme une curiosité botanique et confinée jusqu’au milieu du XVIe siècle dans les couvents, les cours royales et les jardins des botanistes. Ironie de l’histoire, les Espagnols lui donnent le nom patata afin d’éviter la confusion avec le souverain pontife, «el Papa ». C’est toujours par voie maritime qu’elle entre par la petite porte dans les autres pays d’Europe. Une toute petite porte même, car la pomme de terre va souffrir longtemps d’une bien mauvaise réputation. Considérée comme toxique pour l’homme, elle n’est alors bonne qu’à nourrir le bétail, les pauvres, les prisonniers et les soldats.

Et en France ? Impossible que le pays de l’aligot ait aussi mal traité la patate. Mesdames et messieurs… Je suis au regret de vous annoncer que si. À la décharge de nos ancêtres, il faut dire que certes à l’époque il n’y avait que deux espèces différentes pour toute l’Europe au goût âcre. Et puis pousser sous terre, dans les « entrailles du diable » quelle idée ? Sans parler du fait que faute de gluten, le tubercule n’est pas panifiable. Autant dire qu’elle n’était bonne qu’à faire des bouillies. C’est tout ? Non ! Ses fanes vertes contenant de la solanine s’avèrent toxiques au point que seuls les cochons pouvaient en manger. Résultat ? Elle est longtemps cultivée uniquement pour être transformée en farine destinée à engraisser les cochons. C’est tout ? On aurait aimé vous dire que oui mais elle était aussi soupçonnée « d’engendrer des flegmes » au point que la faculté de médecine la déclare néfaste à la santé et le Parlement de Paris interdit sa culture en 1748.


Mais comment est-ce possible nous direz-vous ? Comme beaucoup de plantes de sa famille, les pommes de terre renferment un alcaloïde toxique, la solanine qui devient dangereuse pour l’homme dès qu’elle atteint les 0,02%. Ce qui peut se produire lorsqu’elles sont exposées longtemps à la lumière et commencent à verdir… et quand on ne sait pas les cuire.

Mais alors comment notre féculent favori a-t-il réussi à sortir de ce mauvais pas ? Le XVIIIe siècle n’est pas que le siècle des Lumières mais aussi celui… des disettes et famines qui frappent particulièrement durement la France entre 1769 et 1770. Le blé manque et des émeutes éclatent pour réclamer du pain. On tente alors à nouveau de panifier la farine issue des tubercules de pommes de terre mais c’est un échec total. Les milieux proches du pouvoir s’inquiètent et l’Académie des sciences de Besançon lance en 1771 un concours sur le thème suivant : « Indiquer les végétaux qui pourraient suppléer en cas de disette à ceux que l’on emploie communément à la nourriture des hommes et quelle en devrait être la préparation ». C’est le mémoire de Parmentier qui remporte le premier prix. Pharmacien militaire et agronome, il est prisonnier des Prussiens pendant la guerre de Sept ans. Quand on dit que le malheur des uns fait le bonheur des autres… C’est là qu’il découvre les bienfaits de la pomme de terre qui y constituait l’essentiel de la ration des prisonniers. Miracle, en 1771 l’Académie de Médecine conclut à l’innocuité du tubercule et recommande son usage. Ni une ni deux, Parmentier obtient en 1785 l’appui du roi Louis XVI pour organiser un banquet à destination des scientifiques de l’époque avec une vingtaine de plats différents à base de pomme de terre. En 1788, il reçoit cette fois-ci l’autorisation royale de les mettre en culture dans la plaine des Sablons à Neuilly, une vingtaine d’hectares de terre mises à la disposition de l’Académie d’Agriculture. La culture est gardée par des hommes de troupe durant la journée donnant ainsi l’impression qu’il s’agit d’une culture rare et chère destinée aux nobles mais le champ est laissé sans surveillance la nuit et la population dérobe les tubercules soit disant réservés aux plus riches, contribuant ainsi à sa diffusion. Habile hein ?

Malgré le gros (ok titanesque) coup de pouce de Parmentier, il faudra plus de deux siècles à la pomme de terre pour conquérir complètement le cœur de l’Hexagone. Car en dépit des recommandations de l’Etat, les préjugés populaires ont la dent dure et la culture de la pomme de terre évolue lentement pour atteindre 3 500 hectares en 1800. Parmentier ne verra pas l’essor de sa muse, qui ne connaitra sa véritable expansion que pendant les disettes de 1816-1817 avec la création de variétés adaptées aux diversités climatiques. Ensuite ? Ensuite, plus rien ne résiste à notre vaillant tubercule (tout sauf susceptible) qui résiste aux ravages du mildiou et du doryphore.

Et la suite ? Elle s’écrit dans vos assiettes 365 jours par an ou presque !